mardi 19 mai 2009

Vaccin antigrippal A : La course contre la montre

Le choix d'un vaccin pandémique indépendant du vaccin saisonnier semble préférable pour optimiser les capacités de production.

L'OMS, qui devrait transmettre ces jours-ci le virus grippal A vacci­nal aux producteurs, semble s'orienter vers un vaccin pandé­mique. Cette stratégie s'inscrit dans un contexte de « course contre la montre » dans laquelle les mesures de prévention-confinement, si elles n'arrivent pas à stopper la pandé­mie, peuvent néanmoins permettre de gagner de précieuses semaines ...

Un entretien croisé avec les Docteurs Vincent Enouf du Centre natio­nal de référence du virus influenza région Nord (Institut Pasteur, Paris), et Albert Garcia, épidémiologiste et porte-parole des laboratoires Sanofi Pasteur (Lyon), nous éclaire sur les enjeux.

Pourquoi préférer un vaccin pandémique à l'intégration ou vaccin saisonnier ?

Docteur Albert Garcia : L'idée d'intégrer la nouvelle souche au vaccin saison­nier peut paraître séduisante. Mais ce choix impose de cultiver et du purifier trois fois plus de virus avec à la clé une capacité de production res­treinte aux 400 à 500 millions dn doses par an. Alors que si l'on bascule vers une culture en continu d'une seule souche, on peut espérer produire, selon l'OMS 1 à 2 milliards de doses par an. D'au­tant qu'aujourd'hui nul ne sait com­ment cette nouvelle souche va « pousser » sur milieu embryonnaire. Pour mémoire, le H5N1 s'était avéré très difficile à cultiver. Et il n'est pas sûr qu'une seule dose vaccinale suffise. En outre un vaccin pandé­mique autorise un conditionnement simple, valable pour le monde entier. C'est pourquoi, globalement, la production d'un vaccin pandé­mique semble la meilleure option pour répondre largement aux besoins vaccinaux et ne pas laisser en particulier les pays les plus démunis désarmés.

Prend-on un risque à orienter toute la production vers un vaccin pandémique ?

Docteur Vincent Enouf : Ce virus A est très bien adapté à la contagion interhu­maine. Et il est très original avec ses cinq séquences d'ARN viral porcin descendant à la fois de souches eurasiennes, européennes ct nord­ américaines sans compter les deux séquences aviaires et la séquence humaine. Hormis peut-être les sujets ayant rencontré les virus descendant de la grippe espagnole présents jusqu 'en 1957, nous sommes donc immunologiquement très naïfs. En outre, même si on est aujourd'hui face à des grippes « banales », une mutation vers une forme plus
agressive est toujours possi­ble, L'accès à grande échelle à un vaccin contre ce nouveau virus est donc poten­tiellement très intéressant. La production, comme pour les vaccins saison­niers, reste toujours un pari à la fois en termes épidémique et de stabilité génétique de la souche. En revanche, cela n'af­fectera pas nécessairement l'accès au vaccin saisonnier. Ceux pour l'hémisphère sud sont prêts. Et la pro­duction pour l'hémisphère nord est bien avancée : les Etats-Unis (30 % des doses) ont fini tandis qu'en Europe, on approche du terme de semaine en semaine. Basculer d'ici peu les lignes de production vers un vaccin pandémique ne semble donc pas, en ce sens un pari risqué.

Dans quels délais espérer ce vaccin ?

Docteur Albert Garcia : On évoque quatre à six mois, mais cela reste difficile à dire tant que l'on ne sait pas comment la souche va se comporter en pro­duction ni ce que donneront les études cliniques lancées en urgence, dès les premiers lots de virus. Le vaccin ne sera donc pas disponible cet été pour l'hémisphère sud. On espère qu'il sera prêt pour la saison hivernale de l'hémisphère nord. Mais attention, ces doses pandémiques sont destinées à être mises dans les mains des États.

Qui décidera de la stratégie vaccinale à privilé­gier ?

Docteur Vincent Enouf : Par définition. même si l'OMS peut émettre un avis. la stra­tégie vaccinale est du ressort des pays, en liaison avec les plans pan­démie nationaux. Mais l'observation de l'évolution de l'épidémie grippale dans les mois qui viennent dans l'hémisphère sud et la zone inter­ tropicale, notamment en Afrique où l'Institut Pasteur dispose de plu­sieurs relais, est absolument pri­mordiale. Une mutation de ce nou­veau virus vers une souche très agressive à même de générer une pandémie grave désorganisant les pays peut amener à privilégier une vaccination pandémique ciblant d'abord les sujets stratégiques : autorités, personnels de santé ... alors que si le virus circulant reste sur le mode actuel, la vaccination pandémique sera probablement d'abord destinée aux sujets à risque, à ceux bénéficiant en France de la gratuilé du vaccin saisonnier, qui pourra être administré en parallèle. Mais à l'heure actuelle il est difficile de s'avancer.