mardi 31 août 2010

Menaces sur les vaccinations après le feuilleton H1N1



Après le fiasco de la campagne de vaccination contre la « fausse pandémie » de grippe due au virus H1N1, les spécialistes de la santé publique veulent réconcilier les Français avec les vaccins avant l'arrivée des infections hivernales.

La calamiteuse campagne de vaccination contre le H1N1 n'a fait que confirmer et amplifier une tendance fâcheuse. » Le docteur Robert Cohen, pédiatre et coordonnateur du réseau InfoVac au centre hospitalier de Créteil, va reprendre son bâton de pèlerin. La rentrée des classes et le retour inéluctable de la grippe saisonnière et des infections hivernales vont probablement relancer le débat sur la vaccination. 


Généralistes et pédiatres vont se retrouver en première ligne face aux critiques des patients et des parents, qui ne manqueront pas de leur rappeler les épisodes du feuilleton H1N1. 




Le rapport du Sénat sur la « fausse pandémie » publié début août est très sévère avec le gouvernement français et l'Organisation mondiale de la santé (OMS), accusés de « pensée unique ayant conduit à une forte surestimation des risques ». Ce document dénonce pêle-mêle des « achats démesurés », le « défaut d'association des généralistes » et les « conflits d'intérêts entre experts et industriels ».

Les sénateurs Alain Milon (UMP) et François Autain (communiste), auteurs du rapport et tous deux médecins, estiment que les décideurs ont été aveuglés par les « scénarios du pire » et influencés par des fabricants de vaccins « en situation d'oligopole ». Les industriels ont par ailleurs profité de la panique pour transférer à l'Etat français leurs responsabilités sanitaires sur les éventuels produits défectueux. En France, 5,35 millions de personnes ont été immunisées contre le H1N1 (8,23 % de la population), contre environ 10 % en Allemagne, 25 % aux Etats-Unis et près de 65 % en Suède. La campagne a entraîné des ventes mondiales de vaccins estimées entre 5 et 6 milliards de dollars.

Chute de la confiance

Une autre enquête rédigée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est tout aussi critique avec les institutions. Selon le rapporteur de la mission, le Britannique Paul Flynn (groupe socialiste), « de graves lacunes ont été identifiées en ce qui concerne la transparence des processus de décision ». Ce document s'inquiète aussi d'une « chute de la confiance accordée aux conseils prodigués par les organismes de santé publique ». Une crainte justifiée : près de 40 % des Français estiment que le vaccin anti-H1N1 « n'était pas sûr ». Résultat de cette ac cumulation de maladresses : les péripéties politico-sanitaires du H1N1 sont, selon Robert Cohen, un mauvais coup porté au « pivot de la lutte contre les maladies infectieuses ».

David Abiker, à l'époque chroniqueur sur France Info, a suivi l'affaire en analysant le buzz sur Internet. « Cette crise marque la déroute des experts. Les Français ont rejeté la communication officielle et appliqué le principe de précaution au carré », estime cet observateur de la galaxie du Web, pour qui Internet « donne une prime à la dérision et à la rumeur ». Selon Jacques Attali, lui aussi témoin intéressé des événements, il s'agit d'une nouvelle preuve de « la perte de confiance dans les élites d'une société de plus en plus individualiste ». Ces réactions de défiance inquiètent le médecin spécialiste en santé publique Yves Charpak : « Lutter contre un virus envahisseur est une guerre collective. Ne pas se vacciner est un comportement égoïste. »

C'est dans ce contexte que les missionnaires de la santé vont devoir reprendre la parole avant l'arrivée des premiers frimas. Un exercice d'autant plus difficile que la vaccination possède trois caractéristiques qui brouillent son image : elle s'adresse à des bienportants, sa protection est imparfaite et il provoque des effets indésirables. « C'est un produit biologique complètement différent du médicament. Son efficacité varie selon la maladie et les patients. Cette incertitude est difficile à gérer », admet le docteur Benoît Soubeyrand, directeur médical de Sanofi Pasteur MSD.

En fait, l'acte vaccinal procure une double prévention : il assure une protection individuelle (je prépare mon système immunitaire à une menace) et constitue un bouclier collectif (en me protégeant, je préserve mon entourage). L'ennui c'est que cette belle logique, qui combine individualisme et altruisme, ne marche pas à tous les coups. Il faut introduire un peu de statistiques pour comprendre la stratégie des épidémiologistes.
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Une progression exponentielle - Effet troupeau

Un agent infectieux (virus, bactérie ou parasite) est caractérisé par sa virulence et sa contagiosité. Un enfant malade de la rougeole ou de la coqueluche contamine en moyenne une quinzaine de personnes autour de lui, contre environ deux s'il est infecté par un virus de la grippe. Mais l'efficacité d'un vaccin n'atteint jamais 100 %. Les meilleurs (rougeole) sont proches de 95 %, alors que les moins bons (grippe) descendent certaines années à 60 %. La maîtrise d'une épidémie exige donc une riposte de type militaire : plus une maladie est contagieuse et plus il faut vacciner de grandes populations rapidement pour couper la route au pathogène. « C'est pour obtenir l'effet troupeau », résume Robert Cohen.

Les effets indésirables sont l'autre point faible du procédé. Ils sont toujours très mal supportés par le public qui accepte difficilement de courir un risque avec un traitement préventif. De surcroît, le risque perçu n'a souvent rien à voir avec le risque réel. Selon une étude finlandaise portant sur 581 paires de jumeaux, la majorité des problèmes postvaccination ne sont pas des réactions secondaires, mais des événements intercurrents (liés temporellement à la vaccination, mais sans relation causale). Mais les clichés et les superstitions ont la vie dure et personne n'aime les mauvaises nouvelles. Celui qui se casse la jambe le lendemain d'une vaccination sera tenté de relier les deux événements et d'imputer son malheur aux héritiers de Pasteur. En revanche, s'il gagne au Loto, il mettra cela sur le compte de sa bonne étoile.
Alain Perez, Les Echos