Le virus de la grippe A (H1N1) vient d'entrer dans une nouvelle phase en Europe. C'est ce qu'estiment, à Stockholm, les équipes du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC), après la contamination au Royaume-Uni de deux jeunes Grecs, étudiants à l'université d'Edimbourg (Ecosse), juste avant leur retour au pays. Le diagnostic a été confirmé les 26 et 27 mai par les autoritaires sanitaires grecques. "Ce sont les premiers cas documentés de transmission intracommunautaire, note le docteur Denis Coulombier, chef de la cellule de crise de l'ECDC, mise en place il y a deux ans. C'est aussi un signe de plus que l'épidémie s'installe en Europe."
Rien dans le témoignage des deux jeunes Grecs ne permet en effet de dire qu'ils ont été en contact avec des touristes de retour de zones contaminées. Selon le docteur Coulombier, ces deux cas font du Royaume-Uni "le premier Etat de l'Union européenne (UE) exportateur de la grippe A" et semblent aussi indiquer que le pays serait entré en phase de "transmission communautaire". C'est ce qu'estiment aussi plusieurs médecins grecs dans un rapport publié le 28 mai sur le cas des deux étudiants. La question se pose également pour l'Espagne.
Il revient aux Etats membres de s'adapter à cette nouvelle étape dans la transmission du virus. Une phase qui peut poser de nouveaux défis aux pouvoirs publics : faudra-t-il faire comme avec le Mexique et conseiller de ne pas se rendre dans les pays les plus exposés ? Avec quelles conséquences, notamment pour le tourisme ?
A Stockholm, tout en continuant à surveiller les autres alertes, comme une épidémie de chikungunya en Thaïlande du Sud, l'Agence européenne reste sur le pied de guerre. Le regard des experts se tourne vers les pays du Sud. " C'est malheureux pour leurs habitants, mais nous allons pouvoir tirer nombre d'enseignements de la manière dont le virus va se comporter dans l'hémisphère Sud où l'hiver commence à sévir. C'est un laboratoire de ce qui va se passer en Europe cet automne", note le docteur Angus Nicoll, coordinateur de la lutte contre la grippe en Europe, surnommé "Mister Flue" par ses collègues à Stockholm. Tous les jours, "Mr Flue" et ses collègues de l'ECDC font le point sur la progression du virus, avant d'en informer la Commission européenne et les Etats membres.
Une réunion téléphonique a été organisée, jeudi 28 mai, avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour discuter des fermetures d'écoles. Ces dernières sont les principaux amplificateurs de l'épidémie. "C'est par là que le virus reviendra probablement en force cet automne au sein de l'Union", prédit le docteur Coulombier. Lorsque l'épidémie a éclaté au Mexique, l'ECDC a mobilisé plus d'une cinquantaine de spécialistes qui se sont relayés en faisant les 3 × 8, dix fois plus "qu'en temps de paix", lorsque aucune épidémie ne menace. Chaque jour, après la réunion stratégique à 9 heures, où sont discutés des sujets plutôt "politiques", donc souvent sensibles, suit celle de 10 heures, plus technique, qui permet d'informer les équipes de la progression du virus. Comme l'indique la pendule dans la salle, il est alors 4 heures à Atlanta, au siège du CDC, l'équivalent américain de l'ECDC ; 3 heures à Mexico, où le virus de la grippe A (H1N1) a été isolé en premier, et 16 heures à Pékin (où les autorités soupçonnent l'apparition d'un premier cas de contamination locale dans le sud du pays).
Les spécialistes restent perplexes. Tous imaginaient que la pandémie viendrait de l'Orient : une nouvelle grippe aviaire avec une mutation du virus H5N1. "Et elle nous a frappés dans le dos", note le docteur Coulombier. Elle est venue de l'Ouest, des Amériques. Quoi qu'il en soit, dit un participant, cette épidémie est bel et bien "un exercice à balles réelles, comme diraient les militaires".