samedi 31 octobre 2009
Les contrats de la France avec les fabricants de vaccin contre la grippe A dévoilés
Le voile est levé. Presque totalement. L'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) a rendu accessibles, vendredi 30 octobre, trois des quatre contrats de commande de vaccins contre la grippe A (H1N1). Le député socialiste Gérard Bapt, qui avait reproché, la veille, à la ministre de la santé un manque de transparence sur ces contrats a indiqué, le même jour, que "la façon dont l'Eprus a répondu à la commande de l'Etat" lui paraissait "régulière". La question la plus épineuse reste cependant l'étendue de la protection juridique conférée aux fabricants de vaccins.
L'Eprus a ainsi donné suite à l'avis favorable rendu le 8 octobre par la Commission d'accès aux documents administratifs saisie par des journalistes de l'hebdomadaire Le Point après le refus de l'établissement public de leur communiquer les contrats. Celui signé avec le laboratoire américain Baxter n'a pas été rendu public en raison d'une clause de confidentialité. "En l'absence de consentement préalable écrit du laboratoire tel que prévu dans l'article 17 du marché, aucun élément ne paraît être communicable", indique l'Eprus.
Le contrat avec Baxter porte sur 50 000 doses de vaccin produit sur culture cellulaire et donc injectable aux personnes allergiques à l'œuf, contrairement aux vaccins classiques. Il comprendrait aussi, selon nos informations, l'achat de plus de 100 000 doses d'un vaccin contre la méningite produit par Baxter.
Pour les marchés passés avec Novartis (16 millions de doses), Sanofi Aventis (28 millions de doses) et GSK (50 millions de doses), le degré de divulgation varie pour les documents transmis au Monde. "Les informations couvertes par le secret industriel et commercial ont été occultées", fait savoir l'Eprus pour les deux premiers contrats. Dans le cas de celui le liant à GSK, seules les annexes - et encore caviardées - ont été communiquées. Elles sont les seules à figurer sur la "liste verte" et non la "liste rouge " soumise à la confidentialité. Exit le reste du document, y compris "toutes les données concernant la pharmacovigilance", pour peu qu'elles n'interfèrent pas avec les obligations légales des "autorités locales compétentes".
Pas plus que dans les autres documents rendus publics par l'Eprus n'apparaissent les prix. Ceux-ci ont pourtant déjà été indiqués par le ministère de la santé : de 6,25 euros, pour le moins cher (Sanofi Aventis) à 10 euros pour celui de Baxter.
La question de l'étendue de la responsabilité des fabricants en cas d'incident lié à leur produit est particulièrement sensible, surtout dans un climat où l'innocuité des nouveaux vaccins a été au coeur de polémiques. Aux Etats-Unis, la ministre de la santé Kathleen Sebelius a signé cet été un texte par lequel les fabricants sont protégés contre la menace d'éventuelles poursuites judiciaires et d'indemnités à payer en cas d'effets indésirables survenant chez des personnes vaccinées contre le virus A (H1N1) (Le Monde du 16 septembre).
"Nous avons refusé d'intégrer dans les contrats une clause que l'on ne peut qualifier que de "scélérate", exonérant totalement - hormis faute manifeste - les industriels", indique l'entourage de Roselyne Bachelot-Narquin. Les quatre contrats comportent une "clause de responsabilité". Elle rappelle que "le titulaire (du marché) est, en principe, responsable du fait des produits défectueux".
Dans le cas où le vaccin ne comporte pas de défaut et est conforme aux spécifications de son autorisation de mise sur le marché, "considérant les circonstances exceptionnelles", l'Etat "s'engage à garantir le titulaire contre les conséquences de toute réclamation ou action judiciaire" qui pourraient être engagées contre lui dans le cadre de la vaccination.
Au ministère de la santé, l'entourage de Mme Bachelot indique qu'en l'absence de faute, la survenue d'éventuels effets indésirables connus, comme ceux figurant dans l'autorisation de mise sur le marché, entrerait dans le cadre des accidents médicaux. Ceux-ci peuvent donner lieu à un recours auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam). La situation est plus floue s'agissant d'effets indésirables inattendus.
L'engagement de l'Etat, tel que le reconnaissent ces quatre contrats, va plus loin et offre une protection plus étendue que les dispositions prévues à l'article L 3 131 du code de la santé publique en cas de "menaces sanitaires graves", indiquent plusieurs juristes interrogés par Le Monde.
La sensibilité du sujet laisse supposer que les premières manifestations pathologiques imputées, à tort ou à raison, à la vaccination contre le virus grippal A (H1N1) risquent de donner lieu à des controverses et des procédures judiciaires. L'histoire a montré que les controverses en la matière pouvaient durer des années.