dimanche 4 octobre 2009

La grippe a toujours déjoué les pronostics des experts

Alors que l’épidémie de grippe A semble ralentir en France, Jean-Philippe Derenne, professeur de pneumologie, consultant à la Pitié-Salpêtrière, estime que tous les scénarios sont encore possibles

De nombreux experts estimaient qu’avec la rentrée scolaire, le nombre de cas de grippe A allait augmenter de façon importante, il semble que l’épidémie, pour l’instant, reste très modérée, voire en phase de stabilisation. L’épidémie annoncée pourrait-elle ne pas avoir lieu ?
Jean-Philippe Derenne : Cette hypothèse ne peut être totalement écartée. Dans l’histoire, il y a eu plusieurs cas de « pseudo-pandémies » qui ne se sont jamais produites, le virus s’étant éteint tout seul. Ce scénario est encore possible mais me semble peu probable pour la raison suivante : aujourd’hui, on constate que ce nouveau virus H1N1 a chassé tous les autres virus grippaux. Sur l’ensemble de la planète, 60 % des grippes sont liées à ce nouveau virus qui semble être bien installé.

Pourquoi est-il si difficile de recenser avec précision le nombre de cas de cette nouvelle grippe ?
Aujourd’hui, ces cas sont estimés, via des extrapolations faites à partir de données issues notamment de deux réseaux, regroupant quelques centaines de généralistes. Ces médecins déclarent les cas de grippe à partir de signes cliniques (fièvre, toux, courbatures, fatigue…) de leurs patients. Mais dans la très grande majorité des cas, ils ne font pas de test virologique permettant de vérifier la présence du virus H1N1. Or, lorsque ce prélèvement est réalisé, on constate que, parmi ces patients apparemment grippés, seulement 10 % à 20 % sont effectivement porteurs du virus. Les autres sont juste touchés par d’autres virus saisonniers. Quand, il y a trois semaines, on a annoncé le franchissement du seuil épidémique, il est probable, en fait, qu’il ne s’agissait que d’une épidémie de rhinovirus, c’est-à-dire de rhumes… La grippe saisonnière, selon l’Organisation mondiale de la santé, tue entre 250 000 et 500 000 personnes chaque année dans le monde. Or, à ce jour, la grippe A, cinq mois après son émergence, a fait « seulement » 4 000 morts dans le monde…
Selon moi, il y a d’abord une surestimation de la mortalité de la grippe saisonnière. Un très grand nombre de décès qui lui sont attribués sont sans doute liés à des syndromes grippaux mais pas à la grippe elle-même. Il est probable, aussi, que le nombre de décès liés à la grippe A est aujourd’hui sous-estimé. Ce qu’on constate surtout est que cette nouvelle grippe est plus virulente que la grippe saisonnière par son action directe. À ce jour, on a recensé plusieurs centaines de décès par pneumonies aiguës dues au virus lui-même, comme pour ce jeune homme de 26 ans de Saint-Étienne. Or, ce type de décès est absolument rarissime avec la grippe saisonnière. Pour le reste, la question est de savoir à quel stade de la pandémie nous en sommes aujourd’hui. Par le passé, il y a eu plusieurs cas de pandémies qui ont démarré avec un virus très « gentil » au départ puis se sont poursuivies avec un virus nettement plus « méchant ». Est-ce le scénario qui va se produire aujourd’hui ? Le problème est qu’aucun expert n’est capable de vous donner la réponse. Une des grandes caractéristiques du virus de la grippe est son extraordinaire capacité à toujours déjouer les pronostics des experts.

Aujourd’hui, l’épidémie est terminée dans l’hémisphère Sud. Quelles leçons peut-on tirer de ce qui s’est passé là-bas ? Le « taux d’attaque » (nombre de personnes touchées) a-t-il été de 30 % comme l’annoncent certains spécialistes pour la France ?
Le taux d’attaque a varié entre 10 % et 20 % selon les endroits. En conséquence, la perturbation de la vie sociale ou économique n’a pas été majeure. Sur le système de santé, l’impact a été très variable. En Nouvelle-Zélande, les services de réanimation ont été remplis à seulement 50 % alors qu’ils ont été au bord de l’explosion en Australie où beaucoup de réanimateurs ont affirmé « n’avoir jamais connu une situation pareille ». On n’a pas d’explication sur les raisons pour lesquelles un virus peut causer beaucoup de problèmes à un endroit et passer presque inaperçu à un autre. C’est là un des mystères de la grippe.