jeudi 16 juillet 2009
L'expérience d'un médecin à Buenos Aires face à la grippe A
Chirurgien, ancien chef de service récompensé par le prix de l’Académie nationale de médecine, le Dr. Carlos Schwartz est médecin scolaire du lycée Jean Mermoz et médecin agréé du consulat général de France en Argentine depuis 1986.
Le nombre de décès pour grippe A s’élève aujourd’hui à 137. On a l’impression que la grippe A tue beaucoup en Argentine.
Ce n’est pas le cas. Mieux : elle est peut-être moins létale que la grippe saisonnière. Si on divise le nombre de décès par le nombre de cas (estimés à plus de 150 000), on obtient un taux de mortalité inférieur à 1 pour 1000 (1 ‰).
Mais les cas confirmés ne sont que 3 056. Quel est donc le nombre de personnes contaminées ?
Les « cas confirmés » désignent ceux pour lesquels on a effectué une analyse ; il y en a 3 056 aujourd’hui. Au début, cela se faisait de manière systématique pour évaluer l’avancée de la pandémie. Mais il faut savoir que le délai d’obtention des résultats des tests les plus fiables est d’une semaine et que chaque test coûte environ 1 000 pesos. Aujourd’hui, on estime que 80 % des cas de grippe sont de souche H1N1, donc il n’est plus utile d’opérer une analyse de manière systématique. C’est ce qui explique le décalage entre les estimations – 150 000, peut-être 250 000 – et les cas confirmés. Pour mieux connaître l’ampleur de l’épidémie et mesurer ses caractéristiques, il faudra consolider les chiffres dans quelques mois. Nous ne disposons pas encore des statistiques nécessaires à l’élaboration d’un bilan définitif.
Comment expliquer la panique du début ?
Au début, la communauté médicale a été très alertée par des pneumonies atypiques bilatérales (touchant les deux poumons), qui au final n’ont pas augmenté mais sont cause de décès. En outre, l’apparition d’un virus nouveau suscite toujours l’inquiétude, c’est la peur de l’inconnu. On ne peut jamais savoir ce qui va se passer. Dans une situation d’incertitude, il est difficile de trouver le bon équilibre entre l’alarme et l’appel au calme.
Quels sont les risques pour ceux qui attrapent la grippe A ?
Les manifestations cliniques couvrent un large éventail, y compris des tableaux totalement asymptomatiques, de gravité en général modérée. Environ 1 % des cas doivent être hospitalisés et la grande majorité d’entre eux évoluent bien. Au départ, les enfants et les jeunes adultes étaient les plus affectés, mais actuellement tous les âges sont concernés. Les cas mortels concernent souvent des gens avec des pathologies préexistantes. Dans la quasi-totalité des cas, hors complication, il n’y a aucune séquelle de la maladie. Fait paradoxal, la grippe saisonnière est moins présente que les années précédentes.
Dans quelle situation se trouve aujourd’hui l’Argentine ?
Il semble qu’à Buenos Aires, nous avons atteint un plateau, après une croissance très vigoureuse caractéristique de la survenue d’une pandémie en grande agglomération. Mais le virus se déplace vers l’intérieur du pays. Une pandémie se déplace en général comme une vague, elle pourrait donc « revenir » par la suite vers la capitale et le conurbano.
Vous êtes le médecin scolaire du lycée Jean Mermoz. Comment la pandémie y a-t-elle été vécue ?
Les premiers cas concernaient des élèves qui avaient séjourné à l’étranger durant les vacances, notamment aux Etats-Unis. Très rapidement, la direction a mis en place un plan rigoureux de suivi épidémiologique. Cela nous a notamment permis de savoir que le premier cas de grippe A confirmé dans le nord-ouest de la France est venu… du lycée Mermoz, par l’intermédiaire d’un élève prenant ses vacances là-bas. L’élève se porte très bien, sans avoir reçu de Tamiflu, car à l’époque, ce médicament n’était pas encore disponible. Au total, le lycée a connu quatre cas confirmés de grippe A, sans gravité.
Quelles sont les mesures de prévention à suivre ?
L’essentiel est de respecter des mesures d’hygiène dans tous les sens du terme : se laver les mains, porter des vêtements propres, bien s’alimenter, bien dormir, pratiquer de l’activité physique. Prendre de la vitamine A ne présente aucune valeur ajoutée prouvée.
Les médicaments sont-ils disponibles en quantités suffisantes ?
L’approvisionnement est assuré, car le gouvernement a fait venir près d’un million de doses de Tamiflu. L’infrastructure est elle aussi adéquate, comme les soins, y compris – soulignons-le – dans les hôpitaux publics. J’ajoute que s’agissant des Français résidents en Argentine, les médecins assermentés ont reçu l’appui et la coopération inconditionnels des autorités diplomatiques françaises.
Et les vaccins ?
C’est une question d’ordre éthique qui se pose au niveau mondial. Les vaccins seront prêts dans quelques mois, mais selon quels critères seront-ils distribués ?