lundi 13 juillet 2009
Grippe A : Des chiffres qui ne signifient plus rien
Le cap vient d’être franchi : plus de 100 000 cas de grippe A (H1N1) dans le monde, tous les continents sont touchés, et les trois quart des pays. La France a connu, ce week-end, le cas groupé le plus important, avec 27 personnes touchées dans une colonie de vacances. Nul ne doute plus qu’à l’automne, la planète sera confrontée à une situation inédite.
«La progression de la grippe A dans le monde est exponentielle, aussi bien en nombre de cas qu’en pays touchés. Tous les jours, de nouveaux pays sont infectés», lâche le professeur Jean-Philippe Derenne, chef de service honoraire de pneumologie à la Pitié-Salpêtrière. Alors que l’on escomptait un répit estival, le virus de la grippe A (H1N1) croît et se multiplie beaucoup plus rapidement que prévu.
C’est la seule certitude : la pandémie progresse. Mais à quelle vitesse ? «Aujourd’hui, nous sommes dans le flou le plus incroyable», répond le professeur Antoine Flahault, directeur de l’Ecole de santé publique. «Aux Etats-Unis, le nombre de cas officiels est de 35 000. Mais certains experts parlent de plus d’un million de cas. En Argentine, on nous dit 4 000 cas, d’autres parlent de 100 000.
Ce qui est incroyable, poursuit le professeur Flahault, c’est que l’incertitude sur les chiffres vient de pays qui ont les meilleurs systèmes de surveillance épidémiologique au monde, comme les Etats-Unis ou la Grande Bretagne. Cela laisse perplexe sur la suite.»
En France, le ministère de la Santé le reconnaît aussi, au point de changer de système de comptage. Il est, en tout cas, fort probable qu’un nombre très significatif de cas ne soient pas signalés. «Cela étant, tempère le Dr Jean-Claude Manuguerra, responsable de la cellule de surveillance biologique, dans toutes les épidémies de grippes, il y a beaucoup de cas non comptabilisés. L’important est d’avoir les tendances et de savoir le plus vite possible s’il se passe quelque chose de nouveau. La grippe est un phénomène de masse.»
Depuis la découverte en avril dernier au Mexique du nouveau virus A, les experts notent que cette souche ne serait pas plus dangereuse que celui de la grippe saisonnière.
Mais est-ce si sûr ? «Il nous manque toujours autant d’informations, répond le professeur Derenne. L’analyse des causes de décès n’est pas précise. Et surtout, nous voyons des différences inexplicables. En Argentine, pour 5 000 cas, il y a 80 morts. Cela fait beaucoup. Aux Etats-Unis pour 33 000 cas, 130 morts. Ce n’est pas du tout la même proportion. Pourquoi ?»
Mais on reste officiellement sur un taux de létalité comparable à la grippe saisonnière, entre 0,2 % et 0,5 %. Mais certains doutent de sa pertinence. «Cela veut dire quoi, à partir du moment où l’on n’est pas sûr du nombre personnes infectées ?» interroge le professeur Antoine Flahault.
Deuxième indicateur trouble : le taux d’hospitalisation. A priori, c’est un bon marqueur de la gravité, ou non, de cette grippe. Mais voilà, selon les pays, cela varie beaucoup. Dans les pays du Nord, le taux oscille entre 2 et 10 % d’hospitalisations . «Au Canada, il y a globalement 7 % d’hospitalisés chez les personnes infectées. Mais chez les Inuits, le taux de personnes touchées est de 2 %, et 10 % d’entre eux sont hospitalisés. C’est énorme. Pourquoi ?» lâche le professeur Jean-Philippe Derenne. Qui ajoute : «En tout état de cause, s’il y a un fort taux d’hospitalisation, avec une forte épidémie à la rentrée, les hôpitaux ne pourront pas faire face.»
De fait, les experts se retrouvent aujourd’hui un rien désarçonnés, sans repère solide. Hier, on apprenait qu’un patient est décédé au Royaume-Uni sans présenter de problème de santé annexe, contrairement aux quatorze personnes qui avaient succombé au virus jusqu’alors. Et au Canada, les autorités affirment désormais que «les femmes enceintes courent davantage de risques que le reste de la population».
L’air de rien, le plan français a évolué.
Fortement. Parfois avec retard.
Le changement le plus important a trait à l’hospitalisation des personnes infectées. Au début, sur le modèle d’une pandémie avec un virus pathogène, on a hospitalisé tous les cas, avérés comme douteux. Très vite, les autorités se sont rendu compte que les hôpitaux étaient débordés. Et cela n’apportait rien au patient.
Depuis deux semaines, changement de prise en charge : si vous êtes susceptible d’être atteint, vous appelez le 15 ou le Samu et, sauf complication, on ne vous hospitalise plus, on ne vous met pas non plus obligatoirement sous Tamiflu.
En second lieu, en prévision de la rentrée, le nombre d’hôpitaux dits de première ligne - c’est-à-dire des lieux servant de centres de référence avec des possibilités d’isolement - vont passer de 100 à 400. «C’était indispensable», répète-t-on au ministère de la Santé. On accentue la régionalisation du plan, autour des Agences régionales d’hospitalisation (ARH) et des préfets.
«Les choses qui sont mises en place ne sont pas inutiles», analyse le député socialiste Jean-Marie Leguen. Mais je ressens deux faiblesses importantes. D’abord, on reste dans une logique d’ordre public, avec le ministre de l’Intérieur en chef d’orchestre. On se prive de poser les jalons d’une mobilisation citoyenne. Or, on le sait, les épidémies sont réduites par les citoyens et non pas par des ordres venus d’en haut.» Seconde critique, le ton utilisé. «Il est confus. D’un côté, la ministre de la Santé n’en finit pas de rassurer mais, en sous main, on s’inquiète. Il y a des clivages entre ministres, tout cela reste opaque. Seule stratégie affichée, le tout vaccination. Mais il faut en débattre avant que l’épidémie ne débarque fortement. Demain, ce sera trop tard.»
Tous les experts sont catégoriques : il se passera quelque chose d’inédit, par son ampleur et son éventuelle gravité, à l’automne 2009.
Des pronostics ?
Impossible. 10 000, 20 000, 100 000 morts en France…
Tout est possible. «A partir du moment où une forte proportion de la population est touchée, il y aura des morts, beaucoup, même si le virus reste bénin», insiste le professeur Derenne.
C’est ce que dit, avec d’autres mots, la directrice de l’Institut de veille sanitaire, Françoise Weber : «C’est une grippe qui a un visage bénin, mais elle porte une menace forte, en particulier chez les jeunes et les femmes enceintes.»
Quand on évoque, aujourd’hui, des dizaines de milliers de morts en France par exemple, c’est selon l’expression «toutes choses égales par ailleurs». Et en particulier sans tenir compte de la riposte, de l’effet vaccin. «Dans l’histoire, personne n’a jamais tenté d’enrayer une grippe saisonnière», rappelle le professeur Derenne.
Enrayer l’épidémie avant qu’elle n’arrive, cela veut dire vacciner au moins 50 % de la population. Un pari, encore jamais accompli. De plus, vacciner qui ? Lors de la grippe saisonnière, on vaccine prioritairement les vieux. Là, il semblerait qu’il faille vacciner prioritairement les plus jeunes. Faudra-t-il une ou deux doses ? En France, les autorités ont préempté 100 millions de doses, pour un coût autour d’un milliard d’euros. «Seul élément positif, conclut le professeur Flahault, la mortalité de la grippe n’a pas cessé de baisser depuis la pandémie historique de 1918.»