Finalement, ne vaudrait-il pas mieux attraper dès maintenant la grippe A (H1N1), pendant qu'elle n'est pas très virulente, plutôt que d'attendre la deuxième vague de l'automne prochain, qui risque d'être plus sévère? Certains, en organisant des "swine flu parties" ("fêtes grippe porcine") aux Etats-Unis ou des "grippe parties" au Royaume-Uni, ont d'ores et déjà tranché: ces réunions visent à contracter délibérément le virus A (H1N1) afin de fabriquer des anticorps et être ainsi précocement immunisés. Une vaccination naturelle, en quelque sorte, mais que les spécialistes considèrent comme une fausse bonne idée.
"Dès que nous avons su, par les données épidémiologiques et les observations dans les services hospitaliers, que nous étions confrontés à une forme de grippe bénigne, cette question a affleuré, explique le professeur François Bricaire, qui dirige à La Pitié-Salpêtrière (Paris) l'un des services de référence pour les épidémies infectieuses. Sachant que nous pourrions avoir à faire face à une seconde vague plus sévère à l'automne, il n'est pas totalement illogique de se dire: “Laissons filer, car si beaucoup de personnes possèdent des anticorps, cela simplifiera la vaccination future.”" Directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique et épidémiologiste, le professeur Antoine Flahault reconnaît lui aussi que "ceux qui auront attrapé tôt la grippe A (H1N1) auront plusieurs avantages: ils seront en quelque sorte vaccinés avant les autres. Qui plus est, s'ils font une grippe avec des complications – ce qui n'est pas le cas le plus fréquent en France –, peut-être vaut-il mieux que cela se produise au moment où les hôpitaux ne sont pas engorgés".
Le principe de l'immunisation naturelle par contact avec une personne porteuse d'un virus a fleuri dans les pays anglo-saxons autour de la varicelle ("chickenpox"). Les "chickenpox parties" se sont développées jusque dans les années 1990, alors qu'il n'y avait pas de vaccin contre la maladie: des goûters rassemblaient des enfants autour du patient porteur des vésicules qui signent l'infection par le virus de la famille de l'herpès. L'idée a persisté en particulier chez les familles hostiles aux vaccins ou bien chez ceux qui pensent que l'immunité naturelle est plus forte que celle découlant d'un produit conçu en laboratoire. Elle continue d'être propagée par des sites Internet, y compris pour la grippe. Ses promoteurs mettent notamment en avant un livre, The Great Influenza, de John M.Barry, publié en 2004, qui relate que les personnes ayant contracté la grippe espagnole en 1918, lors d'une première vague relativement modérée au printemps, avaient été protégées lors des deux épisodes beaucoup plus sévères qui se sont succédé au cours de l'hiver.
Directeur des Centres de contrôle et de prévention des maladies américains (CDC), Richard Besser affirme à propos des"swine flu parties"que "ce serait une grosse erreur de faire prendre des risques à des individus et à des enfants. Il s'agit d'une maladie nouvelle, émergente, et nous en apprenons davantage sur elle chaque jour".
Allant dans le même sens, le professeur Flahault estime que "nous ne sommes pas très au clair sur la virulence du virus A (H1N1). En France, par exemple, les données des certificats de mortalité ne rendent compte que très partiellement du nombre de décès provoqués par la grippe, qu'elle soit saisonnière ou qu'il s'agisse du nouveau virus". La plupart du temps, seules les complications infectieuses de la grippe (pneumonie, bronchite…) apparaissent sur le document.
Attraper délibérément la grippe n'est pas anodin. Même si les spécialistes s'accordent à dire que les chiffres officiels de cas confirmés et de décès sont loin de refléter la réalité, les données de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent que 4,5 cas sur mille ont été mortels. "Si attraper la grippe à tout prix était un médicament, accepterait-on que celui-ci entraîne la mort à ce rythme-là ?", interroge le docteur Jean-Marie Cohen, coordinateur national du réseau des Groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG).
Et, au-delà du possible bénéfice individuel qu'une personne pourrait tirer d'une contamination précoce par le virus, il faut aussi réfléchir en termes éthiques: une personne infectée peut transmettre le virus autour d'elle et déclencher, chez les plus fragiles, une maladie potentiellement fatale. "Contracter délibérément le virus A (H1N1)? Franchement, je ne le ferais pas pour moi ou pour ma famille, reprend le docteur Cohen. En revanche, ce n'est pas un drame de l'attraper. Il n'y a pas lieu d'être terrorisé, de changer ses habitudes ou ses projets, notamment de vacances." Une attitude que confirme le professeur Bricaire: "Ma fille me demandait si elle devait maintenir un voyage prévu en Argentine. Après concertation avec des confrères chercheurs, je lui ai dit de ne pas l'annuler.