lundi 7 décembre 2009
Grippe A : Y-a-t'il un pilote dans l'avion ?
Une opinion que nous sommes de plus en plus nombreux à partager.
La France n’a pas la culture de la Santé Publique. Cette discipline reste le parent pauvre de la médecine comparativement aux spécialités cliniques, plus prestigieuses. La gestion de l’épidémie actuelle de grippe A vient d’en administrer une nouvelle fois la preuve.
Plusieurs études, concernant en particulier la prévention et le dépistage précoce du cancer du colon, ont démontré sans conteste que le médecin de famille était capable de faire passer efficacement un message de santé publique à un niveau individuel, sous réserve qu’il ait été associé es qualité dès le départ, à l’élaboration de la stratégie mise en œuvre. Concernant l’épidémie actuelle de grippe A, ces données ont été oubliées au profit d’une vision politisée, centralisée et technocratique du problème. Bien que disposant de médecins épidémiologistes compétents, nous restons désespérément incapables d’utiliser à grande échelle les outils de l’épidémiologie moderne (observer, analyser, intervenir et évaluer).
Les pays anglo-saxons ont un abord plus pragmatique et plus modeste des problèmes. Les stratégies élaborées avec tous les professionnels concernés, sont testées de façon comparative sur des échantillons représentatifs, afin de choisir la plus efficiente. En France, les autorités sanitaires s’entourent d’experts, et s’engagent dans l’action d’une manière qui s’apparente plus à un pilotage à vue qu’à une réelle stratégie raisonnée. Les échecs précédents (sang contaminé, vaccination contre l'hépatite B, encéphalite spongiforme, etc..) n’ont abouti qu’au fameux principe de précaution. En l’absence de directives claires, j’ai commencé à prescrire largement du Tamiflu devant tout syndrome grippal datant de moins de 48 heures dès que nous sommes passés au dessus du seuil épidémique de la maladie, il y a environ trois semaines. Cette attitude de simple bon sens vient d’être validée à l’occasion d’une réunion experts/médecins de terrain qui a eu lieu ces derniers jours à l’Assemblée Nationale. En effet, on a constaté deux fois moins de morts liés à la grippe A au Chili, qui a eu une stratégie de prescription très large, comparativement à l’Argentine qui a réservé son utilisation aux cas graves, comme en France. En attendant, il y a maintenant une rupture de stock de Tamiflu dans les pharmacies de ville et le gouvernement "envisage" d’approvisionner bientôt gratuitement les officines de ville, à partir de ses stocks-Etat. Contrairement à l’épidémie de décès par canicule, l’épidémie grippale H1N1 était prévue de longue date et lorsque l’on fera le bilan, on ne pourra s’empêcher de s’interroger sur le nombre de décès qui auraient pu être évités si les autorités sanitaires avaient réagi de façon rapide, claire, coordonnée et pragmatique dès l’apparition des nouveaux cas sur notre territoire. Espérons que l'on sera au final capable de tirer des enseignements utiles des dysfonctionnements actuels, en cas de nouvelle épidémie.
Publié dans le Monde.fr rubrique "Opinions" par A. Pierre, médecin généraliste, diplômé de santé publique.