mardi 15 décembre 2009

Grippe A : Des médecins contestent la stratégie du gouvernement

Les médecins sont de plus en plus nombreux à douter de la stratégie du gouvernement et des autorités sanitaires dans la lutte contre la grippe H1N1. Dans un courrier adressé, le 9 décembre, à l'ensemble des médecins libéraux, la Direction générale de la santé (DGS) a radicalement modifié ses recommandations. Alors que les antiviraux devaient, jusqu'alors, être prescrits uniquement pour les formes graves de grippe, la DGS préconise maintenant un traitement "systématique" des patients atteints. Dans cette même lettre, Didier Houssin, directeur général de la santé, souligne que les antiviraux Tamiflu du laboratoire Roche et le Relenza, des médicaments en provenance des stocks d'Etat, seront distribués gratuitement en pharmacie, sur simple ordonnance médicale.

La DGS explique ce tournant dans sa politique sanitaire par l'augmentation du nombre "d'hospitalisations et de formes graves" de grippe. Un argument bien faible pour de nombreux médecins et spécialistes. "Aujourd'hui moins de 50 % des cas de grippe sont des cas H1N1, il est probable que ce taux va encore décliner", explique le professeur Bruno Housset, président de la Fédération française de pneumologie et chef du service de l'hôpital intercommunal de Créteil (Val-de-Marne). "Aujourd'hui, cette recommandation de la Direction générale de la santé n'a pas de sens."

Plus grave, l'application de la recommandation pourrait avoir des conséquences graves sur les patients, souligne le pneumologue : "Le médicament peut engendrer certains effets secondaires comme des troubles du comportement. Ensuite, délivrer ce traitement peut induire des résistances au médicament. C'est vraiment dommage de prendre ce risque avec le seul produit efficace dont nous disposons pour les cas graves", martèle ce professeur.

La Direction Générale de la Santé (DGS) doit s'expliquer

Le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) prend également le contrepied de la Direction générale de la santé. Dans un communiqué, ce collectif de médecins rappelle que "les données disponibles pour la grippe saisonnière ne sont pas en faveur de l'utilisation systématique de médicaments antiviraux en cas de suspicion de grippe A (H1N1)". Le CNGE demande également aux autorités de s'expliquer et "d'indiquer les arguments scientifiques et les niveaux de preuve sur lesquels s'appuie ce changement soudain de recommandation."

Le Formindep, un collectif de médecins dédié à "l'information médicale indépendante", a adressé, mardi 15 décembre, une lettre ouverte à Didier Houssin, directeur général de la santé. "L'oseltamivir (Tamiflu) n'a jamais démontré aucun effet sur la diminution de la mortalité ni le taux d'hospitalisation des personnes atteintes d'un syndrome grippal à l'exception d'une méta-analyse entièrement contrôlée par le laboratoire Roche commercialisant le Tamiflu, dont les données brutes sont inaccessibles", conteste le docteur Philippe Foucras, président du collectif. "Ces résultats qui font polémique sont largement remis en cause par le British Medical Journal du 12 décembre et les membres de la Collaboration Cochrane", conclut-il. Comme ses collègues du CNGE, le docteur Foucras réclame des explications scientifiques : "Nous vous demandons de bien vouloir nous communiquer dans les meilleurs délais l'ensemble du texte de la recommandation, son argumentaire, et les éléments et niveaux de preuve sur lesquels elle se fonde."

"On vide les stocks"

"Il ne s'agit que d'une recommandation et en aucun cas d'une injonction", s'est défendu Didier Houssin, mardi 15 décembre, lors d'un point presse au ministère de l'intérieur à Paris. "Concernant les risques de résistance, l'analyse des données dont nous disposons n'a révélé aucun phénomène de ce type". Quant à la systématisation de la prise d'antiviral, "certains pays, qui ont ainsi procédé, ont observé un plus faible taux de mortalité", assure-t-il.

Les médecins généralistes demeurent sceptiques. "Cela fait vraiment désordre, estime Michel Chassang, président de la CSMF, principal syndicat de généralistes. Nous avons reçu dans un premier temps des consignes très strictes nous enjoignant de limiter les prescriptions de Tamiflu et aujourd'hui on nous demande de la prescrire à tour de bras. Cette volte-face peut signifier que nous avons, en France, plus de malades que de vaccins et que la course contre la montre pour limiter la propagation du virus est perdue. Nous passons d'une stratégie de prévention à un système curatif, c'est regrettable. C'est la preuve que le système organisationnel de vaccination a été contre-performant, et maintenant on vide les stocks de Tamiflu pour ne pas se ridiculiser." conclut-il.