jeudi 4 juin 2009

L'OMS va sans doute déclarer le niveau 6 vers la mi juin

L’Organisation mondiale de la santé est coincée entre un virus et une situation inconfortable. L’agence, qui a passé les cinq dernières années à alerter le monde à propos des dangers d’une pandémie, cherche maintenant une manière d’en déclarer une sans causer de panique.

Hier, la directrice générale de l’OMS, Margaret Chan, et ses collègues, ont passé plusieurs heures à consulter des experts sur la meilleure façon d’expliquer que la grippe porcine est devenue mondiale, mais qu’elle n’est pas grave, ont indiqué trois personnes familières avec les plans de l’agence. Le Docteur Chan doit emprunter un parcours délicat entre soulever l’alarme à propos d’un virus, qui provoque dans la plupart des cas un peu plus qu’une fièvre et de la toux, et sous-estimer un virus qui pourrait tuer des millions de personnes. Passer à l’échelon le plus élevé des six étapes d’une pandémie pourrait inciter certains pays à restreindre des déplacements, interdire des rassemblements publics et adopter d’autres mesures qui ne sont pas nécessaires pour de la grippe bénigne, ce qui contribuerait à l’aggravation de la plus profonde crise économique depuis la Grande Dépression. «La formalisation d’une pandémie d’influenza a des conséquences allant en escalade», a déclaré Michael Leavitt, ancien ministre américain de la santé et des services sociaux. «La décision ne doit pas être prise à la légère», a indiqué Leavitt lors d’une entrevue. «Le système d’évaluation et de déclenchement de différents niveaux d’alerte est encore en cours de perfectionnement à l’OMS.»

L’agence basée à Genève déclarera la première pandémie d’influenza depuis 41 ans à un moment donné au cours des 10 prochains jours, ont indiqué des personnes, qui s’exprimaient sous le couvert de l’anonymat, parce que les délibérations de l’OMS sont privées.

L’OMS utilise le temps qu’il reste avant l’annonce de la phase 6 afin d’aider les États membres à se préparer. «Nous avons mis sur pied une série de consultations avec des responsables de la santé publique et des universitaires du monde entier afin de comprendre leurs préoccupations et d’obtenir leurs conseils sur le passage au niveau 6», a indiqué Dick Thompson, un porte-parole de l’OMS à Genève. «Nous ne sommes pas en phase 6. Nous ne faisons qu’explorer les problématiques liées à l’annonce d’une pandémie.» Suite à la discussion d’hier, l’OMS envisage une échelle constituée de trois échelons pour désigner les différents niveaux de gravité, une fois que la phase 6 aura été déclarée, a indiqué Keiji Fukuda, l’assistant du directeur général de l’agence, pour la sécurité sanitaire et l’environnement, lors d’une conférence téléphonique avec des journaliste ayant eu lieu hier. Les experts ont dit que, outre l’évaluation de la gravité, l’agence doit proposer des orientations adaptées aux pays sur la façon de répondre à une pandémie, a-t-il dit.

«Par le passé, l’OMS a enseigné au public qu’une pandémie est une chose très dangereuse», a dit Peter Sandman, un consultant en communication de risque du New Jersey, dont la liste des clients inclut le ministère de la Sécurité intérieure des États-Unis ainsi que l’OMS.
«Si vous déclarez une catastrophe chaque fois que quelque chose de peu important se produit, alors l’éventualité de déclarer une catastrophe n’est pas un appel de réveil ». Pour autant que les scientifiques sont concernés, une pandémie d’influenza n’est pas définie par sa gravité. Le critère clé est géographique. Les lignes directrices de l’OMS indiquent qu’une pandémie est imminente lorsqu’un nouveau virus provoque des foyers d’infection «dans au moins deux pays d’une région de l’OMS», et est en cours de se répandre dans au moins un autre pays d’une autre région de l’OMS.» La nouvelle souche d’influenza porcin, découverte en avril, s’est propagée dans 64 (67 depuis cette déclaration) pays, aussi éloignés que le Japon, l’Islande et la Nouvelle-Zélande. «La plupart de notre préparation pour une pandémie a été effectuée dans l’anticipation d’un virus plus mortel», a indiqué Alan Kendal, qui a fondé la section influenza du U.S. Centers for Disease Control and Prevention et a étudié l’épidémie de grippe porcine de 1976 à Fort Dix, au New Jersey. «Ceci nous a pris par surprise, dans la mesure où le virus ne semble pas mortel.» Le virus, une nouvelle souche qui a évolué à partir des porcs, des humains et des oiseaux, a rendu malade 20 000 personnes et a tué 121 d’entre elles à travers le monde. L’OMS évalue que la grippe saisonnière cause jusqu’à 500 000 décès par année. Le virus H5N1 de la grippe aviaire, qui ne se transmet pas facilement parmi les gens, a tué 61 pour cent des 432 personnes connues pour avoir été infectées par ce virus depuis 2003.


«D’une façon macabre, si c’était vraiment grave, un grand nombre de décisions seraient beaucoup plus faciles à prendre», a déclaré Fukuda lors d’une entrevue, le 11 mai dernier. Un passage en phase 6 pourrait déclencher des plans d’urgence à travers le monde, a déclaré le mois dernier le ministère de la Santé du Royaume-Uni. Les entreprise pharmaceutiques pourraient passer de la fabrication d’un vaccin de grippe saisonnière à un vaccin pandémique, ce qui pourrait laisser des régions du monde sans suffisamment de stocks pour lutter contre la grippe hivernale, a déclaré le Ministère dans une déclaration du 18 mai. GlaxoSmithKline Plc a passé des accords avec certains gouvernements pour fournir un vaccin pandémique dans le cadre de plans nationaux de préparatifs, qui entreraient en jeu au moment du déclenchement d’une pandémie, a indiqué David Outhwaite, un porte-parole de l’entreprise pharmaceutique basée à Londres. «Si vous appliquez mécaniquement la définition actuelle de la phase 6 à la présente situation épidémiologique mondiale, il est difficile pour l’OMS de ne pas soulever d’alerte», a dit Shigeru Omi, un professeur en santé publique à l’Université médicale Jichi, au Japon, et ancien directeur de l’OMS pour le Pacifique ouest. «Si vous annoncer que nous sommes à la phase 6, sans aucune qualification, cela donne une fausse impression que de nombreuses personnes meurent chaque jour. Cela constitue un défi.» Le mois dernier, l’OMS a demandé aux ministres de la santé de la Chine, Corée du Sud, Japon et des 10 pays membres de l’Association des nations du sud-ouest asiatique, d’entrevoir la gravité de la maladie parmi les déterminants plus vastes d’une pandémie. Le mot pandémie en soi pourrait causer de la panique parmi la population, perturber les entreprises et l’économie, a déclaré Kamnuan Ungchoosak, un fonctionnaire du ministère thaïlandais de la Santé.

«Les gens ne veulent pas aggraver ce qui s’avère déjà une mauvaise situation économique», a déclaré Alan Hampson, un virologue basé à Melbourne ayant contribué à la rédaction de la version préliminaire du premier plan d’intervention de pandémie de l’OMS en 1999, et ayant conseillé l’Australie dans ses préparatifs. Le magazine Nature, dans un éditorial daté du 6 mai intitulé «entre un virus et une situation inconfortable», a indiqué que le plus grand danger posé par une pandémie d’influenza est la complaisance, et non pas exagération. «Nous avons vécu pendant cinq longues années sous la menace d’une pandémie causée par le virus mortel H5N1 de l’influenza aviaire», a déclaré le Docteur Chan lors d’une rencontre des leaders mondiaux de la santé ayant eu lieu à Genève le mois dernier. «Ceci a fait en sorte que notre monde est mieux préparé qu’il était, mais qu’il est également très craintif.»