mardi 30 juin 2009

Une ligne Maginot contre la grippe A

Les responsables sanitaires appellent à la très grande vigilance pour les mois à venir.

Un article de Jean-Yves Nau

Il fait chaud et la grippe menace. Situation inédite ? Compréhensible ? Ce lundi 29 juin fut une rude journée sur le front français de la pandémie A (H1N1). Dès l'aube, il fallut faire avec Le Parisien/Aujourd'hui en France, journal quotidien imprimé sur papier qui sait encore à merveille prendre le pouls des mouvements qui traversent et transpercent l'opinion publique française. A la Une: «Grippe A; ça se complique». Caractères bien gras avec l'heureuse économie du point d'exclamation. Roselyne Bachelot, la confirmée ministre de la Santé du gouvernement Fillon, s'y exprime. Longuement. Extraits choisis: «Il faut savoir raison garder (...) L'été est normalement moins favorable à la contamination par le virus mais, contrairement à ce que nous espérions, nous n'enregistrons pas, pour le moment, de répit estival. Deux scénarios ont toujours été étudiés: trêve estivale avec remontée à l'automne ou scénario linéaire avec une pente régulière à la hausse. Les vacances étant l'occasion de voyages et de vie sociale plus active, l'été peut être une période propice à la circulation accrue du virus. Il faudra donc faire preuve de civisme: les personnes malades et confinées devront envisager de reporter leur départ. De même, les règles d'hygiène ne devront pas être relâchées. Les masques ne seront toutefois distribués automatiquement qu'en cas d'épidémie forte.»

La situation serait-elle à ce point grave que nous ne puissions partir, outre-Atlantique vers l'un des pays (les Etats-Unis, le Canada ou le Mexique notamment) ou le virus circule désormais largement au sein de la population?

Bachelot: «Les voyages ne sont pas prohibés mais nous appelons les gens à la prudence: s'ils partent dans les pays à risque, ils doivent se protéger et éviter les rassemblements. Chacun reste libre de sa destination mais il faut être responsable.» Sous-titrage: chacun reste libre, pour l'heure, de sa destination.

Lisons encore la ministre: « Si la situation le commande, je déciderai que la porte d'entrée pour les malades ne sera pas seulement le centre 15 et l'hôpital mais aussi les généralistes. Ces derniers ont reçu une formation sur une potentielle pandémie grippale. »

Mme Bachelot, enfin, interrogée sur la grande et belle question de savoir si, le moment venu en France, la vaccination sera ou non obligatoire. Réponse: « A ce jour, aucun pays n'est sur le principe d'une vaccination obligatoire. Mais je veux pouvoir proposer le vaccin à tous ceux qui le souhaiteraient sachant que les deux doses nécessaires coûteront 15 euros. »

Toujours dans la très chaude matinée de ce 29 juin, cette annonce de l'Institut de Veille Sanitaire (InVS) qui entreprend dès ce jour de tenir la chronique, à la fois médicale et scientifique, des premières semaines de l'émergence de cette pandémie grippale. Une reprise rétrospective et savamment dosée, en somme, de ce que propose Slate.fr depuis deux mois. Exercice délicat qui, loi du genre, voit l'InVS ne pas pouvoir faire l'économie de l'auto-célébration.

«Le 28 avril, l'InVS alertait les autorités françaises sur la découverte aux Etats-Unis d'un nouveau virus grippal d'origine porcine. Le lendemain, le Mexique publiait le bilan alarmant d'une épidémie liée au même virus. Depuis maintenant huit semaines, l'InVS est en première ligne dans le dispositif de lutte contre la pandémie mis en place par la France.»

Et encore, plus curieusement de la part d'un organisme public peu habitué à filer la métaphore guerrière: «Nous venons de vivre huit semaines qui ressemblent à une "drôle de guerre". L'ennemi est annoncé, il a un potentiel pandémique, mais la plupart des cas sont bénins. Les systèmes de santé sont mobilisés très largement et le public s'interroge sur l'intérêt de cette mobilisation. En même temps, la survenue de formes graves et de décès, chez des personnes plutôt jeunes, inquiète à juste titre. La drôle de guerre dure, et l'opinion s'interroge: en fait-on trop, pas assez, au bon moment? Après ces huit premières semaines, la France semble moins touchée que d'autres pays européens dont la population est équivalente. Même si les flux touristiques sont différents des autres pays, le système de repérage et de contingentement des cas importés qui s'est mis en place dès les premiers jours aura sans doute contribué à ralentir l'implantation de l'épidémie sur le territoire.» Via l'InVS, la France, cible touristique planétaire -notamment estivale- fait généralement mieux que les autres.

L'InVS prépare maintenant la seconde phase, dite d'«atténuation». Objectif: abaisser autant que faire se peut le pic de l'épidémie en ralentissant la transmission du virus. «Dès lors que le A (H1N1) circulera de manière active, la surveillance ne sera plus individuelle, mais collective. Ce ne sont plus les cas individuels qui seront surveillés, mais la vitesse et l'intensité de l'atteinte de la population, ainsi que sa gravité, nous explique-t-on. Une observation attentive des cas graves et des décès sera nécessaire pour comprendre le plus rapidement possible les facteurs de risque. Ce mode de surveillance est déjà mis en place dans les pays où le virus circule maintenant largement (Etats-Unis, Royaume Uni). »

Et encore: «Aucun épidémiologiste ne dispose aujourd'hui des éléments permettant d'évaluer l'impact précis de cette pandémie sur la population, que ce soit l'impact sanitaire ou l'impact socio-économique, ni le moment où les vagues successives vont survenir. C'est là toute l'importance de disposer d'un plan de préparation comme celui mis en place en France. C'est la colonne vertébrale de l'action publique, qui met à la disposition des décideurs des stratégies et des outils adaptés à chaque phase de l'épidémie. Savoir l'utiliser de façon adaptée à celles qui nous attendent, de façon adaptée et mesurée, en réservant les moyens les plus importants aux phases les plus graves, est maintenant un de nos défis.»

Autres défis prioritaires: la surveillance des territoires d'outre-mer, exposés au risque infectieux du fait de l'hiver austral; celle des populations les plus vulnérables physiologiquement et socialement; la mise en œuvre précoce de la recherche sur la modélisation de l'épidémie, sur l'observation de ses paramètres ou sur les facteurs de risque des cas graves. Et cet appel nullement déguisé aux financements publics: «Pendant les prochains mois, les moyens de l'InVS comme de toutes les structures mobilisées devront être réalloués pour faire face à la pandémie dans les meilleures conditions, mais sans jamais sacrifier d'autres programmes ou actions dont l'impact est important pour la santé publique. » A nous, donc de suivre.