Des chercheurs américains ont identifié un anticorps humain capable, lors d'expérimentations avec la souris, de neutraliser bon nombre de sous-types du virus de la grippe, y compris le H5N1, responsable de la grippe aviaire. Rien ne garantit encore que ces résultats, publiés dimanche 22 février sur le site de la revue Nature Structural & Molecular Biology, puissent être aisément transposés à l'homme et permettre la mise au point d'un vaccin "universel" contre la grippe. Mais ils n'en constituent pas moins une importante avancée contre le virus de la grippe.
La grippe saisonnière tue plus de 250 000 personnes par an et les grandes pandémies - comme la grippe espagnole - dues à de nouvelles souches hautement pathogènes ont fait des millions de victimes. Face à cette maladie, il existe un moyen de prévention, la vaccination, efficace contre les épidémies saisonnières ; et des médicaments antiviraux, qui ne fonctionnent qu'au début de l'infection. L'idée d'une arme universelle contre le virus influenza a toujours buté sur la capacité de ce dernier à muter. Ainsi, la préparation du vaccin contre la grippe saisonnière change-t-elle chaque année, en fonction des sous-types viraux en cause.
Les sous-types du virus sont caractérisés par les antigènes - deux protéines : l'hémagglutinine (H) et la neuraminidase (N) - qu'ils portent à leur surface. Le H1N1, par exemple, fut l'agent de la grippe espagnole. Il existe à ce jour seize variétés d'hémagglutinine et neuf de neuraminidase. Jusqu'à présent, il n'avait pas été possible d'identifier une partie suffisamment constante dans le virus pour servir de base à un vaccin "universel".
Jianhua Sui (Harvard Medical School, Boston) et ses collègues ont sélectionné des anticorps dans des échantillons de sérum prélevés sur des personnes infectées à différentes époques par le virus grippal, et ont évalué leur capacité à neutraliser différents sous-types viraux. Autrement dit, à reconnaître une zone (un épitope) permettant d'identifier l'antigène viral et de s'y lier.
Les chercheurs ont mis en évidence un anticorps capable de se fixer sur une zone de l'hémagglutinine non connue pour être antigénique. Cette zone est indispensable à la fusion de l'enveloppe virale avec la cellule dans laquelle le virus pourra se multiplier.
Ayant découvert le "talon d'Achille" du virus, les chercheurs ont administré l'anticorps à des souris. Il s'est révélé capable de neutraliser tous les virus influenza du groupe 1 (N1) testés, y compris le H5N1 et le H1N1. Selon l'équipe dirigée par Wayne Marasco, ces données suggèrent que l'immunothérapie faisant appel à ce type d'anticorps neutralisant "est une stratégie prometteuse pour une protection à large spectre contre les virus influenza saisonniers et pandémiques".
"C'est une avancée conceptuelle remarquable. En 2008, une autre étude avait montré la présence d'anticorps à large spectre chez des personnes ayant eu la grippe. Le défi de préparer de tels anticorps est maintenant ouvert", estiment le professeur Antoine Flahault, directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP, Rennes), et le professeur Xavier de Lamballerie (Institut de recherche pour le développement, Marseille). "C'est un article passionnant, qui ouvre un vaste champ de recherches. L'anticorps découvert bloque l'entrée du virus dans la cellule sans empêcher la mise en route de la réponse immunitaire de l'organisme", renchérit le professeur Bruno Lina, directeur du Centre national de référence sur la grippe pour la zone Sud (Lyon).
La gestion du risque pandémique permet non seulement d'éviter que les personnes infectées ne meurent, mais aussi de réduire le risque de transmission. L'impact socio-économique de la maladie s'en trouve du coup considérablement réduit.
"L'article indique les possibilités de traitement préventif et curatif par une immunisation passive (en administrant directement des anticorps) dans les quarante-huit heures suivant l'infection. C'est un résultat extrêmement satisfaisant, remarque M. Lina. S'il existe un anticorps efficace, c'est un produit que l'on est tout à fait capable de produire à grande échelle dans des tubes à essais. Ce serait une arme supplémentaire dans l'arsenal antigrippe." Surtout que les médicaments antiviraux et la vaccination, outils disponibles jusqu'à aujourd'hui, restent d'une efficacité incertaine sur des virus hautement pathogènes.
PRUDENCE
Néanmoins, ces spécialistes veulent rester prudents. "Ce qui réussit chez la souris ne se produira pas forcément chez l'homme", souligne le professeur Lina, qui ajoute que les chercheurs ont l'habitude de dire que "la souris ment". L'anticorps "n'a pas présenté de réactivité contre les virus H3, souvent responsables d'épidémies saisonnières et en cause dans la pandémie de 1962", remarque-t-il. "Si cette immunisation est possible et efficace, sera-t-elle sans risque ?" s'interroge également Antoine Flahault.
Pour l'heure, rien ne permet encore d'y répondre. Pour MM. Flahault et de Lamballerie, le travail de l'équipe américaine fait entrevoir "des perspectives curatives possibles à court terme, mais pour des cas particulièrement graves, et peut-être préventives".
En revanche l'éventualité d'un vaccin issu de ce travail, "disponible à une large échelle avant une dizaine d'années, paraît faible".