jeudi 8 mai 2008

Un chercheur de l'Université Laval a découvert comment déjouer la mutation des virus


Les vaccins actuels ne sont pas pleinement efficaces parce que leur action se limite à la production d'anticorps.

Photo: Agence Reuters

Les vaccins demeurent encore aujourd'hui impuissants à nous protéger de façon durable contre des maladies infectieuses, comme la grippe, le sida ou l'hépatite C. La raison: les pathogènes responsables de ces pathologies évoluent rapidement et parviennent ainsi à déjouer les armes vaccinales dont nous disposons. Dans le cadre du congrès de l'Association francophone pour le savoir (Acfas), qui se déroule toute la semaine à Québec, un chercheur de l'Université Laval a annoncé hier avoir élaboré une nouvelle stratégie susceptible d'engendrer une vaccination universelle contre toutes les souches émergentes de ces pathogènes dévastateurs. Cette véritable révolution vaccinale nous permettrait notamment de faire face à la menace d'une pandémie de grippe en toute quiétude.

Subissant sans cesse de nouvelles mutations qui changent la configuration de leur surface, les virus de la grippe, du sida et de l'hépatite C, ainsi que la salmonelle, bactérie responsable de la fièvre typhoïde, finissent un jour ou l'autre par échapper aux anticorps produits à la suite de l'administration d'un vaccin. Car ces anticorps n'ont pour cible que des protéines situées à la surface du virus, lesquelles sont susceptibles de subir des mutations.

«On sait aujourd'hui que les prochains vaccins devront s'attaquer à des cibles qui sont conservées au cours de l'évolution de la souche virale», a expliqué Denis Leclerc, virologue au Centre de recherche en infectiologie de l'Université Laval. «On connaît déjà plusieurs de ces cibles. Le problème est que nous n'arrivons pas à déclencher une réponse immunitaire suffisamment vigoureuse contre ces cibles pour assurer une bonne protection. C'est là la grande problématique dans le domaine de la vaccination aujourd'hui.»

Lors de l'émergence de nouveaux virus de la grippe, par exemple, ce sont les protéines de la surface des virus qui se modifient. Les protéines qui participent à la structure interne du virus demeurent quant à elles intactes. «Le virus ne peut se permettre de modifier ses protéines internes car il perdrait ainsi son potentiel infectieux, a expliqué le chercheur. Il nous faut donc orienter la réponse immunitaire contre ces protéines qui sont conservées malgré les mutations successives qui transforment la surface du virus.»

Mais pour atteindre ces protéines internes, appelées épitopes, la réponse immunitaire ne devra pas se réduire à la production d'anticorps qui neutralisent l'infection en s'attachant spécifiquement à certaines protéines situées à la surface du virus, a poursuivi M. Leclerc. La réponse immunitaire doit aussi comporter un deuxième volet, cellulaire celui-là, au cours duquel un bataillon de cellules est dépêché sur les lieux de l'infection pour y éliminer les cellules infectées.

Pour le moment, il n'existe aucune technologie vaccinale capable de provoquer une réponse immunitaire de type cellulaire contre les cibles conservées, a rappelé Denis Leclerc. «Tous les vaccins disponibles sur le marché ne génèrent que des anticorps. Or, comme les virus mutent très rapidement, les anticorps que vous avez générés à la suite de votre vaccination ne reconnaîtront pas les nouvelles souches qui émergent.»

Pour provoquer une réponse cellulaire, il faut aider le système immunitaire au moyen d'un adjuvant, un stimulant pourrait-on dire. Et l'adjuvant qu'a choisi le virologue Denis Leclerc est un «pseudovirion», c'est-à-dire une molécule ayant la forme d'un virus infectant spécifiquement les végétaux.

Pour produire cet adjuvant en quantités suffisantes pour la préparation de vaccins, le scientifique a introduit le gène responsable de la structure de ce virus végétal dans des bactéries qui ont reproduit en de multiples exemplaires la forme exacte du virus végétal. «Ce pseudovirion ayant la forme d'un bâtonnet a le potentiel de déclencher les deux volets de la réponse immunitaire, a affirmé le virologue. Le système immunitaire des mammifères, y compris l'humain, reconnaît ce genre de structure cristalline et hautement répétitive comme un grand danger puisqu'il n'en a jamais rencontrée [les humains ne sont jamais exposés aux virus infectant les végétaux]. Au fond, ce pseudovirus végétal n'est absolument pas dangereux pour les mammifères, mais quand on l'injecte sous la peau d'un mammifère, il déclenche la forte réponse immunitaire de type cellulaire que l'on recherchait. Et si on y associe une cible -- un épitope conservé -- appartenant au pathogène, la réponse immunitaire sera alors dirigée contre cette cible», et donc contre les cellules infectées par ce pathogène.

Toutes les structures cristallines et hautement répétitives comme celle du pseudovirion végétal ont la capacité de déclencher de vigoureuses réponses immunitaires comportant à la fois la production d'anticorps et la réponse cellulaire ou cytotoxique qui tue les cellules infectées que le système immunitaire a repérées, a résumé le conférencier.

Un vaccin universel

Le futur vaccin qu'a mis au point l'équipe de Denis Leclerc se composera donc de pseudovirions auxquels on attachera une cible, en l'occurrence une protéine appartenant à l'intérieur du pathogène à abattre et qui est commune à toutes les différentes souches de ce pathogène parce qu'elle n'est pas soumise à cette évolution constante et rapide que subissent les souches virales, comme l'influenza. «Si on veut préparer un vaccin contre la grippe, on accolera à la surface de l'adjuvant, c'est-à-dire du pseudovirus végétal, les protéines structurales internes M1 ou NP présentes chez tous les virus de l'influenza. On obtiendra ainsi un vaccin universel qui devrait nous protéger contre toutes les souches de grippe qui pourraient émerger, y compris une grippe aviaire. Peu importe la souche qui circule, on administrera chaque année le même vaccin», a souligné le chercheur avant d'ajouter que l'adjuvant du vaccin induit également une longue mémoire immunologique (assurée par la présence de cellules-mémoires) pouvant atteindre de trois à cinq ans. Ce qui veut dire que le système immunitaire d'une personne vaccinée reconnaîtra tout nouveau virus de la grippe qui pourrait infecter cette personne dans les années suivant sa vaccination et déclenchera une réponse immunitaire efficace (comportant ses deux volets) contre lui.

La technologie imaginée par Denis Leclerc et ses collègues possède plus d'un atout. Elle est aussi très polyvalente car il est possible de l'adapter à n'importe quelle maladie infectieuse. Présentement, le chercheur mène de front des programmes de recherche non seulement sur la grippe, mais aussi sur la fièvre typhoïde, avec un collègue mexicain, Constantino Lopes-Macias, de l'IMSS de Mexico, et sur le cancer du sein en collaboration avec l'immunologiste Réjean Lapointe, du CHUM. «Quand mon collègue du CHUM aura identifié une cible interne aux cellules cancéreuses, je la couplerai à mon adjuvant, qui alors déclenchera une réponse immunitaire contre la tumeur cancéreuse», a ajouté Denis Leclerc pour expliquer que sa technologie vaccinale pourrait aussi servir d'immunothérapie contre le cancer.

Les succès obtenus jusqu'à maintenant en recherche fondamentale permettent désormais à Denis Leclerc et à ses collègues de démarrer des études cliniques. «Nous sommes rendus à l'étape où nous avons besoin d'un financement industriel parce que ce ne sont pas les Instituts de recherche en santé (IRSC) qui vont payer pour les phases cliniques», a annoncé le virologue, qui affirmait avoir discuté la veille avec un investisseur potentiel . La révolution vaccinale est vraiment en branle.